vendredi 13 novembre 2015

Priorité emploi !

   Au début de la carrière policière d’Anthony Cappelletti, un personnage doté d’un poste élevé s’était dit que c’était l’homme rêvé pour la brigade de la lutte contre le crime organisé*. Il était italien, bien sûr ; mais de plus, il parlait l’italien, il avait grandi dans les quartiers de Little Italy, il était allé à l’école avec les fils et les neveux des capos et des hommes de main (qui un jour formeraient la génération suivante des capos et des hommes de main), et surtout, Anthony Cappelletti haïssait la Mafia*. […]



Dès le départ c’était ce dégoût de la Mafia qui l’avait incité à devenir policier, et la sincérité évidente de ses sentiments avaient conduit ses chefs à le charger de la lutte contre le Crime Organisé.



   Qu’il mena pendant quatre mois. […] Il leur parla si souvent et si fort qu’en quatre mois il parvint à compromettre sérieusement la loi et l’ordre dans la bonne ville de New York. Le langage de Cappelletti était clair comme de l’eau de roche : pièces à convictions trafiquées, faux témoignages, intimidation de témoins, falsification de dossiers, subornation de jurés, écoutes illégales, interrogatoires musclés et, à l’occasion, une bonne fusillade dans la vitrine d’un restaurant.



Il semblait avoir décidé d’éliminer complètement la Mafia de la surface du globe, en commençant par New York, de le faire tout seul, et d’avoir fini à Noël. En quatre mois, Cappelletti n’avait tué personne, mais il avait brisé tant de membres, détruit tant d’automobiles et de magasins de pompes funèbres et envoyé derrière les barreaux tant de mafiosi*, que les patrons du Syndicat* organisèrent au Bahamas une conférence au sommet très confidentielle et résolurent de lancer la contre-attaque la plus impitoyable de leur histoire.


   Ils menacèrent de quitter New York.


   La rumeur fit son chemin, sourde mais claire. Dans le passé, certes, New York s’est déjà sentie abandonnée : les New York Giants sont partis pour les marécages du Jersey, l’American Airlines s’est installé à Dallas, des dizaines de sociétés ont déplacé leur siège social au Connecticut, et même la Bourse, à un moment donné, a annoncé son intention de déménager. Mais si l’on veut se représenter un vrai désastre, on n’a qu’à penser à ce que deviendrait New York si la Mafia s’en allait comme un seul homme.



Toutes les entreprises gérées par des truands, qui s’en occuperait une fois les gangsters* partis ? Les pitres qui les avaient déjà menées à la banqueroute, et n’avaient pu s’en sortir que grâce à des prêts d’origine douteuse, qui avaient permis aux truands de prendre la tête des affaires.




Que deviendraient ces restaurants, ces blanchisseries, ces sociétés financières, ces marchands de voitures, ces sociétés de nettoyage et de ramassage des ordures, ces supermarchés, ces entreprises de camionnage ou de gardiennage, sans la compétence, la discipline, les assises financières que leur assure le contrôle par le Syndicat du Crime ? On frémit en se figurant l’avenir de New York si les sociétés y étaient gérées par leurs propriétaires nominaux.


   De plus, pensez à tous ces policiers, ces politiciens, ces journalistes, ces dirigeants syndicalistes, ces fonctionnaires municipaux, ces avocats, ces comptables, ces chargés de relations publiques, qui sont payés directement par la Famille. Est-ce que la ville de New York gagnerait à perdre un pareil employeur, à perturber à ce point le marché du travail ?

Donald Westlake.- Pourquoi moi ?




Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, que de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne.

Jean-Jacques Rousseau.- Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes.


* Remplacer au choix par : les investisseurs, les aménageurs, les entrepreneurs, les patrons, les grands bourgeois, l'oligarchie, l'élite, les capitalistes, les riches, le marché, le plan, les décideurs, les gestionnaires, les responsables, les pollueurs, les exploiteurs, les empoisonneurs, les contamineurs radioactifs,  etc., ad libitum.

Abolition de l'emploi ! On y pense depuis trois siècles, maintenant il faut y croire !

Nous remercions nos généreux partenaires sans qui cet article n'aurait pu être édité. Nous leur savons particulièrement gré d'avoir bien voulu prendre sur leur emploi du temps on ne peut plus chargé actuellement par leur mécénat humaniste et philanthrope de la COP21.

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