lundi 4 décembre 2017

La nuit des morts-vivants

   L'autre soir je monte dans le train, retour du chagrin, déjà bien nuit. Je vise une jolie fille sur le strapontin. Mon regard s'attarde un peu plus longtemps qu'il ne devrait s'il devait échapper à un œil attentif et avide de déceler en moi le vieux libidineux que je suis. Mais aussitôt, je constate, déçu, que la voyageuse à les yeux et les oreilles rivés sur une sorte de rectangle lumineux. Las ! me dis-je, elle est silicolonisée. Finalement c'est pas plus mal, l'invasion techno-numérique me préserve de mes mauvais penchants. Je me détourne et avise un grand noir. Ah ! pensé-je, mon frère ! que j'aimerais être comme toi, enraciné de plus près au berceau de l'humanité, la noble et martyrisée Afrique, que j'aimerais prendre ta couleur pour porter dans ma chair la solidarité que je ressens pour toutes les victimes de la colonisation, de l'esclavage, de l'apartheid... Et puis, stoppé dans mon lyrisme je vois les mains du type entravées par ce même genre de vibromasseur atomique. Mes élans fraternels s'évaporent. La femme au foulard de l'autre côté relance mes réflexions et mes désirs de fraternité. Madame, pensé-je, je vous respecte infiniment. Certains de nos compatriotes aux idées avancées tentent bien de m'inciter à vous haïr, mais j'avoue que je suis loin de la catégorie A d'une certaine intransigeance radicale "Troisième République" panachée d'années trente et d'évènements algériens, irriguant notre France éternelle. Je suis, pour utiliser une injure à la mode, une sorte de gauchiste. Je ne vous connais pas, j'imagine que je ne pense pas comme vous mais je me battrai jusqu'au... Mince ! Elle est accro à des sortes de bonbons roses sur le même bidule masturbatoire ! Et moi qui croyais que vous n'aviez qu'un seul Dieu, vous embrassez la bouche fétide d'une idole ! Vous vous prosternez devant le Veau de métaux rares ! Adorez Moloch ! Arrière, Jézabel ! Déception. Le cravaté derrière j'ai plus de mal, mais toujours d'être tolérant j'essaye. C'est peut-être un être souffrant, très sensible, il a peut-être une passion très insolite qui le transfigure quand il s'y adonne, il est peut-être bon père, bon conjoint, et puis ne suis-je pas mois aussi domestiqué, même si je ne porte pas l'uniforme ?... Quant à son mode de transport, le train de banlieue, il ne dénote pas le cadre supérieur, le manager... Mais, sur son visage fatigué flotte aussi cette lumière froide, reflet des images animées qui l'hypnotisent sur son parallélépipède en plastoc. Au secours ! Mais.. Ouf ! Sauvé : un ado ! Fraîcheur. Mon petit bonhomme dans quelques années... Arrrgh ! Un boum ! boum ! sort du cordon auriculaire sinuant le reliant à l'objet, la prothèse qu'il titille frénétiquement... Et partout, tout autour, des noyés irisés par la lueur à létalité lente, donnant à leurs visages le masque glauque de la mort et son rictus sardonique. Cherchant désespérément de l'aide je finis par me tourner vers... Bonne maman ! Une vieille dame, indigne j'espère. La mienne, de Bonne Maman, à 80 ans étudiait le piano, apprenait l'allemand... J'ai encore les narines remplies de l'urine stagnant du matin au soir dans ses toilettes. A l'époque, même si les chiottes sèches n'étaient pas encore revenues dans les pratiques des anciens paysans que nous sommes tous peu ou prou, on savait à sa manière économiser l'eau, source de vie... La vieillesse, sagesse, sérénité, sens rassi, vécu, expérience. Un refuge pour l'être effrayé que je suis. Et une bibliothèque. Hiiii ! La bibliothèque a brûlé, les yeux déjà morts de celle-ci sont fixés sur la machine de soins palliatifs qui fait "ding !", ses doigts tremblent en un incessant papillonnage abrutissant et délétère sur un écran plat.

   Arrivé chez moi, j'allume une radio anarchiste. Vite, du réconfort. "Ne jouons pas les réacs, je suis bien content, dans le métro, d'avoir mon Smartphone pour connaître l'itinéraire le plus rapide...". Quel con je suis, me dis-je dans un premier temps, et moi qui me pensais malin en utilisant un plan de métro... Je ne serai donc définitivement qu'un loser !  Et puis, j'ai compris... SOS ! Ils sont là, partout ! Ils vont me dévorer !

   Puis, un calme froid soudain m'envahit. Comme un automate esquinté, je me dirige d'un pas chaloupé et syncopé vers l'autel. J'appuie sur le bouton. Pose mes fesses sur le coussin. Me connecte à la grande famille de Big Google et me mets à mon blog. Je vais mieux.


   Ma dernière actu ciné.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Y a un tour de parole !