vendredi 30 mars 2018

Le bac français sans rater l'émeute

   Mes chers lycéens en classe de première, vous n'avez plus le temps de vous préparer au baccalauréat de français, puisque vous êtes en grèves, en manifestations, en occupations, et c'est tout à votre honneur. Mais rassurez-vous, La Plèbe, Hâte, déjà va ! vous propose ici un cours de rattrapage du commentaire composé, afin de vous donner quand même quelques éléments pour passer l'épreuve traditionnelle en toute quiétude. Nous avons choisi l'admirable poème de Baudelaire, l'un des plus beau, La Beauté. Voici, pour commencer, le sonnet en lui-même.

La beauté.

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;
J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études ;

Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles ;
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !


    Nous allons maintenant l'éplucher un peu. Voyons le premier vers : Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre. Ca ne veut rien dire. Un rêve de pierre peut être beau ou laid. Donc, pour nous faire connaître la Beauté, l'auteur la compare à une chose vague, indéterminée, dont la notion nous est encore plus incertaine que celle de l'objet à connaître. Ce premier vers est un assemblage de mots qui ne nous apprend absolument rien. Passons au deuxième : Et mon sein où chacun s'est meurtri tour à tour... Je veux bien que "meurtri" soit figuratif, mais il rappelle fâcheusement la comparaison du premier vers et impose abusivement l'image d'un sein en pierre. Je relève dans ce second vers une faute magistrale qu'il faut bien appeler solécisme. "Tour à tour" signifie en effet l'un après l'autre ou alternativement. On n'est pas plus fondé à écrire "chacun s'est meurtri tour à tour" que "chacun s'est meurtri à tour de rôle". Il aurait fallu dire : "Où chacun s'est meurtri à son tour." Qu'une faute de cette dimension ait trouvé place dans un sonnet aussi corseté, voilà qui est regrettable, mais le plus fâcheusement significatif est qu'aucun de ses innombrables admirateurs n'ait, à ma connaissance, relevé cette énormité. Passons aux deux vers suivants : Est fait pour inspirer au poète un amour - Éternel et muet ainsi que la matière. N'oublions pas que c'est le sein de la Beauté qui inspire cet amour. Ç’aurait pu être le visage, le dos, les cuisses ou l'ensemble, mais c'est le sein. Il doit y avoir à cela des raisons que nous ne connaîtrons pas et il faut nous contenter de l'affirmation gratuite. L'amour inspiré par ce sein est "éternel et muet ainsi que la matière". Rien à dire contre éternel, sinon que le mot, qualifiant un amour, est peu signifiant. En revanche il n'y a pas de raison valable pour que l'amour du poète soit muet. Tout le monde sait bien que les poètes sont très diserts sur ce point et Baudelaire le sait mieux que personne puisque pour sa part, il dédie un sonnet à la beauté et, ailleurs, un hymne. "Muet ainsi que la matière", est-il dit. Matière est un mot d'une portée bien générale pour une telle comparaison. En fait, dans le bon langage ordinaire, on dit muet comme une carpe, comme la tombe ou comme une pierre. Ce rapprochement d'amour et de matière, lourdement chevillé, est une recherche inutile et, à vrai dire, il eût mieux valu s'abstenir de toute comparaison. Mais matière vous a un fumet philosophique des plus tentants.

A SUIVRE...

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