vendredi 30 mars 2018

Le bac français sans rater l'émeute

   Mes chers lycéens en classe de première, vous n'avez plus le temps de vous préparer au baccalauréat de français, puisque vous êtes en grèves, en manifestations, en occupations, et c'est tout à votre honneur. Mais rassurez-vous, La Plèbe, Hâte, déjà va ! vous propose ici un cours de rattrapage du commentaire composé, afin de vous donner quand même quelques éléments pour passer l'épreuve traditionnelle en toute quiétude. Nous avons choisi l'admirable poème de Baudelaire, l'un des plus beau, La Beauté. Voici, pour commencer, le sonnet en lui-même.

La beauté.

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;
J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études ;

Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles ;
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !


    Nous allons maintenant l'éplucher un peu. Voyons le premier vers : Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre. Ca ne veut rien dire. Un rêve de pierre peut être beau ou laid. Donc, pour nous faire connaître la Beauté, l'auteur la compare à une chose vague, indéterminée, dont la notion nous est encore plus incertaine que celle de l'objet à connaître. Ce premier vers est un assemblage de mots qui ne nous apprend absolument rien. Passons au deuxième : Et mon sein où chacun s'est meurtri tour à tour... Je veux bien que "meurtri" soit figuratif, mais il rappelle fâcheusement la comparaison du premier vers et impose abusivement l'image d'un sein en pierre. Je relève dans ce second vers une faute magistrale qu'il faut bien appeler solécisme. "Tour à tour" signifie en effet l'un après l'autre ou alternativement. On n'est pas plus fondé à écrire "chacun s'est meurtri tour à tour" que "chacun s'est meurtri à tour de rôle". Il aurait fallu dire : "Où chacun s'est meurtri à son tour." Qu'une faute de cette dimension ait trouvé place dans un sonnet aussi corseté, voilà qui est regrettable, mais le plus fâcheusement significatif est qu'aucun de ses innombrables admirateurs n'ait, à ma connaissance, relevé cette énormité. Passons aux deux vers suivants : Est fait pour inspirer au poète un amour - Éternel et muet ainsi que la matière. N'oublions pas que c'est le sein de la Beauté qui inspire cet amour. Ç’aurait pu être le visage, le dos, les cuisses ou l'ensemble, mais c'est le sein. Il doit y avoir à cela des raisons que nous ne connaîtrons pas et il faut nous contenter de l'affirmation gratuite. L'amour inspiré par ce sein est "éternel et muet ainsi que la matière". Rien à dire contre éternel, sinon que le mot, qualifiant un amour, est peu signifiant. En revanche il n'y a pas de raison valable pour que l'amour du poète soit muet. Tout le monde sait bien que les poètes sont très diserts sur ce point et Baudelaire le sait mieux que personne puisque pour sa part, il dédie un sonnet à la beauté et, ailleurs, un hymne. "Muet ainsi que la matière", est-il dit. Matière est un mot d'une portée bien générale pour une telle comparaison. En fait, dans le bon langage ordinaire, on dit muet comme une carpe, comme la tombe ou comme une pierre. Ce rapprochement d'amour et de matière, lourdement chevillé, est une recherche inutile et, à vrai dire, il eût mieux valu s'abstenir de toute comparaison. Mais matière vous a un fumet philosophique des plus tentants.

A SUIVRE...

mercredi 28 mars 2018

Une messe qui inquiète le pouvoir

Jackie Kennedy aux commandes 

Leonard Bernstein et le président John F. Kennedy ont longtemps entretenu un fort lien d'amitié, jusqu'à l'assassinat de ce dernier en novembre 1963. En hommage à son mari, Jackie Kennedy demande à Bernstein de composer l'œuvre qui serait jouée lors de l'inauguration du Kennedy Center for the Performing Arts.
Depuis longtemps, Bernstein souhaitait composer une grande œuvre religieuse qui toucherait le plus grand nombre d'individus. Lui qui est juif, va écrire une messe catholique qui aura destination à être jouée dans des lieux profanes…un choix osé pour l'époque.

Survoltage total 

La messe qu'il a en tête délivrera un message de paix et d'espoir, mais n'aura certainement pas une forme habituelle. Bernstein convoque ainsi des chanteurs, des acteurs, des danseurs, et complète l'orchestre de deux orgues, de guitares électriques, de batteries, synthétiseurs et bande enregistrée ! Il s'inspirera autant de Ludwig van Beethoven que d'Aaron Copland, de gospel et de comédie musicale, mais travaillera aussi avec des paroliers de Broadway ou encore le chanteur Paul Simon. 

Œuvre dangereuse 

Quand Bernstein finit d'écrire Mass, nous sommes en 1971 aux USA et la Guerre du Vietnam s'enlise. Il est connu pour ses prises de position pacifistes, ce qui lui vaut d'être surveillé de près par les autorités américaines… En travaillant sur le livret avec son ami Daniel Berrigan, anarchiste et pacifiste chrétien incarcéré, le FBI croit à la préparation d'un acte subversif et conseille alors au Président Nixon de ne pas assister à la première de Mass car il pourrait applaudir sans le savoir une messe en latin qui contiendrait une attaque dirigée contre lui ! 


Malheureusement, Mass fut donnée au Vatican en 2000 à la demande de cette tête de mort incontinente de Jean Paul II, ce qui désamorce pour le moins sa charge potentiellement subversive.



Cette histoire insolite m'a été narrée par un courrier de l'Orchestre de Paris.

lundi 26 mars 2018

Le shodan pour les nuls

Qu’est-ce qui tient tous ces fanatiques de karaté, ces fondus de bricolage, de pêche ou de mycologie ?
Comité invisible.- L'insurrection qui vient.


   Je sais que c'est très rébarbatif et pour tout dire assez absurde pour les non-initiés, mais si vous voulez voir la trombine de Wroblewski dans le rôle du méchant toujours vaincu par le gentil sur ce petit tutoriel pour jeunes candidats au premier dan d'aïkido, c'est ici, de la minute 8.25 à la minute 13.53. Je tiens à préciser qu'à l'instar de la révolution qui ne sera pas télévisée, l'aïkido ne se pratique pas devant un écran, mais en trempant le keikogi sur le tatami, en se faisant lessiver, essorer, pétrir par le noble effort d'une relation pleine. De même, le passage d'examen dont ce petit film est une simulation est un exercice très stéréotypé occasionnel qui n'a que peu de choses à voir avec la pratique complète de l'aïkido, beaucoup plus interactive, dialogique, ludique ; pesante mais mobile ou réciproquement. Bon, vous me direz aussi, les relations humaines, vivantes, cosmiques... pleines ne devraient pas se réduire à la pratique sur un tatami, séparées des conditions matérielles, des interactions sociales, des attitudes mentales et des valeurs qui façonnent le cours du développement du monde et de la vie quotidienne, à révolutionner d'urgence, vous ne me contredirez pas sur ce point, ou point sur ce pas, question de métaphore et de registre de langue. Or ici, Wroblewski ne part pas à l'assaut de l'engeance lunettée, casquée, boucliée, bardée, bottée, munie d'armes blessantes, mutilantes, létales et effrayantes. Non, moins courageux, il s'attaque sans cesse à un brave type qui ne lui a rien fait. Bravo ! Vous me direz, il est bien puni, car il ne cesse de mordre la poussière. Ce qui au demeurant ne lui enlève rien de sa méchanceté et de sa persévérance à réitérer ses agressions gratuites...

"Il faut imaginer Sisyphe heureux."

A bientôt sur les tatam..., euh... à bientôt les copains-pines.


vendredi 23 mars 2018

D'un 22 mars l'autre

Un ami picard m'envoie cette esquisse. Je publie volontiers.

1968 – Macronomie et Nécromancie - 2018

    « Macron avait annoncé la nécessité d’une célébration officielle de « Mai 68 » ? Il ne faut pas s’en étonner, car certain gauchisme est soluble dans le libéralisme, qui se nourrit comme matière première, du flou et de la laxité de l’informalité des réseaux. Ce qui n’a rien à voir avec l’aspiration libertaire, sociale et sociétale, à sa structure fédérale et à ses principes de base. Le « libéral-libertaire », Cohn Bendit, a soutenu Macron pendant la campagne électorale. Une « révolution Macron », qui par ses législations fiscales sur le capital mobilier et immobilier, s’en prend à cette vieille bourgeoisie, héritière et patrimoniale, qui lorsqu’elle était encore aux commandes, était la cible des « soixante-huitards ». Une vieille bourgeoisie qui n’est plus guère défendue que par « Valeurs actuelles » et Laurent Wauquiez !! Macron le banquier de haut niveau, s’apprête à les « plumer », et à donner leurs places et valeurs à ses amis, en ce sens il veut faire croire politiquement que c’est lui qui mène la « révolution » ! A ce titre, il se pourrait bien que Macron soit aussi l’un des héritiers de l’après « mai 68 », mais surtout du « négatif de l’après mai 68 ».


    « Nicolas Sarkozy, président de la république, voulait détruire jusqu’au souvenir de Mai 68 (et de ses suites), une prétention risible, mais sans doute empreinte de la lucidité sur le caractère subversif inaliénable de cette période ! Prétention stupide, mais qui aurait laissé « 68 » dans le camp des spectres subversifs qui auraient continué de hanter le monde. Emmanuel Macron, président, veut faire mieux, il veut neutraliser « 68 » en le mettant sous cloche de verre ! Il veut momifier « 68 » et le mettre au musée ! Et prétendre éviter ainsi que ses aspects inaliénablement subversifs ne continuent de hanter le monde ! Daniel Cohn Bendit, ex Dany-le-Rouge, qui a soutenu Macron pendant sa campagne électorale, avait déclaré qu’aujourd’hui « il fallait être à la fois pour et contre Macron ». Cela nous renvoie à cette nébuleuse idéologique dangereuse que l’on évoque sous le nom ambivalent de « libéral-libertaire ».


    « Le « négatif de 68 », a toujours par la perversion qu’il portait en son sein, représenté une perversion camouflée derrière une « subversion fallacieuse ». Comme un enfer toujours pavé des meilleures intention. Cette faille perverse, dans un édifice idéologique tout entier, qui a occupé le devant de la scène pendant quelques décennies, a rapidement été repéré par des intellectuels de la droite réactionnaire, qui ont su appuyer là où cela faisait mal, permettant aussi à l’extrême droite idéologique de reconstruire son édifice.


    Sans bien sur, que l’édifice intellectuel gauchisant soit en mesure d’y répondre, faute d’avoir compris à temps les failles de ses rouages et de son analyse. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire, en ces temps de chaos et donc de refondation d’étoiles dansantes, rien ne doit échapper à la subtilité d’une critique profonde et radicale, d’une libre pensée active et révolutionnaire. Cela inclut la critique radicale, qu’il ne faut laisser à aucun prix à la droite extrême et réactionnaire, de l’édifice gauchisant construit sur le « négatif de 68 » et ses failles totalitaires et perverses. Passage obligé à la refondation d’un authentique mouvement mondial et solidaire, fondé sincèrement sur la volonté de résoudre conjointement, face au capitalisme et aux Etats, les questions sociales, sociétales et éco-systémiques. »

    « Liberal-libertaire » Kesaco ? Marier les termes « libéral » et « libertaire » est aussi monstrueux et dangereux politiquement, que de lier « national » et « socialisme ». Si le nationalisme a perverti l’aspiration socialiste historique, dans le « national-socialisme », le socialisme n’a nullement subverti le nationalisme, il ne lui a servi que de vitrine sociale pour attirer à lui, en toute démagogie, les masses exploitées dans la misère. De la même manière, la dimension libérale (au sens économique du terme), pervertit l’aspiration libertaire qui lui est accolée. Cette aspiration libertaire, ne subvertit nullement la dimension libérale qui la digère comme il se doit ! Cette caution du terme « libertaire », s’exerce exclusivement sur son aspect d’émancipation sociétale, mais une émancipation sociétale qui ne trouve comme seul débouché, que celui du marché consumériste, lui même d’essence « libérale » et fortement impliqué dans l’inégalité et l’injustice sociale. Dans le mariage « libéral-libertaire », le terme « libertaire » se retrouve totalement amputé de sa dimension d’aspiration à la justice sociale, qui fut la raison première de sa révolte et de ses fondations. La notion de dimension « libérale-libertaire » est une monstruosité, et l’on ne peut que chercher à séparer ces deux concepts. Les séparer pour les opposer autour de l’axe de la liberté sociétale, et sur la base, d’un côté, de l’injustice sociale liée au libéralisme, et de l’autre, de la justice sociale comme aspiration libertaire fondamentale ! C’est d’ailleurs, ce qui doit arriver, ce qui va arriver. Par delà les relents bruyants des gauches finissantes dont on ne perçoit que les râles d’agonie, le futur antérieur tend mondialement à opposer non plus cette vieille idée de « droite contre gauche », mais le libéralisme économique comme mécanique politique d’un capitalisme débridé se cherchant grâce à la force des Etats des débouchés d’avenir, contre l’aspiration libertaire qui sait combiner et articuler liberté, égalité et solidarité, justice sociale et justice sociétale. »


    « Or, nous savons désormais que l’expansion technologique est parvenue historiquement à un tel développement, que « Si l’énergie dépensée aujourd’hui par le parc de machines dans le monde l’était par des êtres humains, on estime que la terre serait peuplée de l’équivalent de 30 000 milliards de travailleurs » (p. 112) Pierre-Yves Gomez, Intelligence du travail, Desclée de Brouwer, 2016, 184 p. Cet auteur, économiste chrétien n’est pas suspect d’être un « dangereux » révolutionnaire gauchiste ! »

    « Par ailleurs l’usage sans discernement, le gaspillage même, de l’énergie nécessaire à cette formidable productivité, menace l’équilibre climatique de la planète, c’est à dire celui qui a vu se produire l’avènement de l’humanité tel que nous la connaissons depuis 10 000 ans, avec le néolithique puis l’histoire écrite. »


    « Le 22 Janvier 2018, les analyses de l’ONG Oxfam démontrent dans son rapport "Récompenser le travail, pas la richesse" portant sur l’année 2017, que les inégalités ont continuées à se creuser à tel point que « 82% de la richesse créée en 2017 dans le monde a terminé entre les mains du 1% le plus riche de la population de la planète ». Et qu’à l'inverse, « 50% de la population mondiale n'a pas touché le moindre bénéfice de la croissance mondiale ».


    « En ce début de XXIème siècle, le caractère absurde, injustifiable et illégitime du fait qu’une minorité tienne les commandes, les rouages, les profits (à son bénéfice premier) du processus économique apparaît évident. Car dans ces conditions historiques de capacités productives, il devrait être question du partage généralisé à toute l’humanité de ce patrimoine historique qui devra relever du domaine commun et à l’usage de tous. Un processus qui se doit d’être contrôlé par toute l’humanité, sur la base de ses besoins, des capacités productives et distributives, et à la lumière des évaluations scientifiques, afin de veiller sur tout ce qui pourrait impacter la modification climatique de cause humaine, c’est à dire sur notre cadre de vie planétaire. » « Combien d’offres d’emplois restent non pourvues ? Entre 300 000 et 500 000, il s’agit pour la plupart d’entre eux d’emplois précaires de services, de livraison, de restauration. A côté de cela, il y a près de 6 Millions de chômeurs, sans compter les radiés du chômage et les très nombreux allocataires du RSA sortis des dispositifs de comptage du chômage ! »

    « Quand on sait que d’ici 2025, - dans les 7 ans qui viennent -, 250 Millions d’emploi vont disparaître dans le monde, par la robotisation et ses profits ! »


    « Nous avons à portée de main, sur cette terre en 2018, tous les outils et connaissances, pour partager les richesses et assurer la satisfaction des besoins fondamentaux de tous, tout en utilisant cette force de production, d’idées et de connaissances scientifique, pour appliquer un programme réel de protection des espèces, et de l’équilibre climatique qui nous a vu nous développer. »

    « Abolir la misère matérielle d’une part et stopper la destruction des derniers espaces naturels et de leurs habitats et habitants, qui représentent notre seule ressource au besoin généralisé de la préservation de notre équilibre climatique, celui qui a vu l’humanité commencer à se démultiplier il y a seulement 10 000 ans, d'autre part ! Ces deux tâches, ces deux objectifs fondamentaux, qui relient le local au mondial-global, sont à mener conjointement et en interaction, car il ne peut y avoir de réussite viable par la séparation de ces deux objectifs d’intérêt public mondial. »


    « C’est donc à nous toutes et tous, de nous organiser, de définir nos besoins sociaux, et d’en fixer le prix, afin que, d’une façon ou d’une autre, au coeur de ce monde capitaliste en mutation technologique, nous puissions arracher collectivement à la plus-value du capital ce dont nous avons besoin ! »


    « Quel humanisme pour le XXIème siècle ? Un humanisme non béat qui doit inclure le fait potentiel que « l’horreur est humaine », et qui se positionne dans une position antireligieuse dans ses actes et options, c’est à dire anti-patriarcale, antiraciste et anti-anthropocentriste, et de fait anticapitaliste et anti-étatiste. »

    « Le travail collectif, à l’échelle de la planète, n’a pour seul but que la satisfaction des besoins fondamentaux et communs de tout un chacun-e, partout dans le monde ! Mais aussi la prise en compte des besoins singuliers, durables ou momentanés, liés aux handicaps et/ou aux pathologies transcendantales et traumatiques. »

mercredi 21 mars 2018

La dose de Wrobly : pluviôse 2018 EC


- Gustave Flaubert.- Un coeur simple.

   J'espère que je ne ferai de peine à personne, mais décidément, je n'aime pas Flaubert. Pourtant j'essaye, celui-là je l'avais déjà lu. D'un chiant ! Pourtant il est pas long. Et puis les atermoiements et larmoiements de l'auteur dans ses lettres au sujet de cette nouvelle, comme quoi il est malheureux de vieillir célibataire alors qu'il avait tant de tendresse à donner ne manquent jamais de faire réapparaître à ma mémoire les charniers de communards, et le manque de tendresse certain de l'auteur pour les insurgés suppliciés de 71. Bon, pour être honnête, j'avais mieux aimé, je dois même avouer que j'avais été ému à la lecture de Saint Julien l'Hospitalier et d'Hérodias. Peut-être y vis-je des figures d'éveil à la conscience, d'émancipation des conditionnements de caste, de transformation des pulsions de domination et de la domination des pulsions en désir de fraternité universelle, d'éternelle rébellion face au despotisme que Flaubert n'avait pas voulues. Mais peut-être aussi que le vieillissant écrivain avait, qui sait, regretté son parti pris craintif pour les fusilleurs, et peut-être que saint Julien embrassant le lépreux / prolétariat révolutionnaire, et saint Jean-Baptiste / Eugène Varlin supplicié par un Hérode / parti de l'ordre avide de continuer à jouir de la Salomé / société bourgeoise, c'était lui, aussi.


   Il y en a que je n'ai pas lu du normand, certes. Ainsi celui qui lui valut procès en 57 juste avant Baudelaire. Mais j'ai lu l'Educ. sent. qui me laissa froid. Et Salambô adapté par Druillet, qui m'a fatigué, même si j'ai à cette époque appelé ma chatte Salambô, la pauvre chérie que j'ai laissée mourir, seul que j'étais, sans copine, et ayant besoin de me soigner donc toujours hors de chez moi, radin qui plus est vu les années d'argent dans la bouteille et les conneries addictives en général, ne la nourrissant que de croquette des chez Leader Price, et ne réagissant que bien trop tard à sa souffrance, son refus de s'alimenter et sa station permanente sous le lit. Je me revois encore chez le véto avec des hoquets de sanglots refoulés quand il l'a endormie. Et rentrant chez moi en larmes, avec ma petite boîte à chat vide au bout du bras (avais-je l'air d'un con, ma mère ?), réintégrant mon appartement vide, lui aussi. Enfin, vide, non, il restait heureusement Amilcar, l'arsouille à la tignasse grise et folle, mort plus tard dans mes bras, en 2015, à une période de ma vie où j'étais moins seul, mais rassurez-vous, je n'ai appelé le roastbeef de la photo ni Bouvard, ni Pécuchet, ma copine elle a pas voulu. Bref, tout ça pour dire que Flaubert, j'en ai soupé.

Loulou l'Américain finira par se confondre avec le Saint-Esprit.

- Marcel Aymé.- Le Confort intellectuel.

[...] Faut-il croire que les juges qui condamnèrent Les Fleurs du Mal et Madame Bovary s'employaient pour le confort intellectuel de leurs contemporains ?
   - Certainement. [...] Pour la bourgeoisie d'il y a cent ans [ la scène se passe en 1945 - note du blogueur ], le péril social résidait moins dans les appétits du prolétariat que dans les tentations généreuses qui auraient pu la solliciter elle-même. [...] Ce qui était menaçant, ce n'était pas Marx, mais Baudelaire, Delacroix et leurs émules. A lui seul, en supposant même qu'il eût été lu et compris, Marx n'aurait jamais réussi à persuader la classe bourgeoise de se suicider, sans compter qu'à des raisons, il est toujours possible d'opposer des raisons, voir des bonnes. Mais un poème obscur, une image violente, un beau vers plein d'ombre et de vague, une harmonie trouble, une sonorité rare, le mystère d'un mot somptueux et insignifiant, agissent à la façon d'un alcool et introduisent dans l'organisme même des habitudes de sentir et de penser qui n'auraient pas trouvé d'accès par les voies de la raison. Accueillir une révolution dans l'art poétique et en goûter la nouveauté, c'est se familiariser avec l'idée de révolution tout court et, bien souvent, avec les rudiments de son vocabulaire. [...] Ah ! Monsieur, on ne se méfiera jamais assez de la poésie. Je parle de la vraie, celle qui consiste à dire des choses fausses ou à ne rien dire. Elle prépare immanquablement le règne de la confusion, de l'anarchie, et de toutes les déviations sentimentales.


   Bref, comme vous le voyez, pas lu grand choses ce mois-ci, deux livres épais comme des sandwiches SNCF. Ça craint. Ma copine dit que je fais trop de mots croisés... Pourtant je ne fais que trois grilles par semaine, celle du Canard, une d'Alain Bonhomme, plan transmis par George, merci George, et une de 1923 dans un recueil que maman m'a offerte... Quant à mes grands talents de verbicruciste que vous connaissez bien pour avoir jouer ici même avec moi à plusieurs reprise, je les ai actuellement complètement mis au rencard faute de temps, alors... Je ne sais pas... On verra le mois prochain...

lundi 19 mars 2018

Libérééé !

    Hier la nature avait revêtu son grand manteau blanc (tavus la métaphore ?). J'aurais peut-être eu envie d'une autre météo il me semble, pas que j'aime pas la neige, loin de là, mais là, le 18 mars (vive la Commune !), ça commençait un peu à bien faire...

    Du coup, je suis parti dans le Klondike !


    Vous savez peut-être qu'à la rédaction de La Plèbe, Jack London fait partie de notre panthéon littéraire. Ce dessin animé est dès le début beaucoup moins violent que le livre (pas d'hommes dévorés par des loups, par exemple, et les maltraitances animales et autres rixes à mort ne sont que suggérées), mais il m'a semblé bon.


    En tout cas j'ai pleuré à chaudes larmes, ça m'a réchauffé, mais j'avais les sinus explosés en sortant.

    Ma dernière actu ciné.

vendredi 16 mars 2018

Monsieur Eddy

   De temps en temps, un bon vieux rock français à la papa bien couillu, moi, ça me fait du bien. Voilà, j'y peux rien, ma mère me mettait des pantalons et je regardais les films avec John Wayne à La Dernière séance quand j'étais minot.




   Trêves de plaisanteries, ce gars est cristolien, et comme j'ai bossé 10 ans à Créteil après mes 10 ans de chagrin en Seine-Denis dont 5 à Ouen, et avant de revenir tapiner à Denis même (où je m'étais déjà prostitué un an à l'époque de mes remplacements dans le 93, vous suivez ?) ; bref, comme c'est un cristolien, ça m'a rappelé des souvenirs où j'étais un peu moins vieux qu'aujourd'hui, alors voilà. J'espère qu'il vous plaira. Plus que Cyril Mokaiesh en tout cas...   Cela dit c'est mon frangin qui m'a envoyé les vidéos, perso je ne connaissais pas et ne connais toujours pas beaucoup plus ce jeune artiste qui fait déjà beaucoup de vidéos bien propres.

mercredi 14 mars 2018

Oh ! la tuerie l'holothurie !

   Après le succès du blob, voici l'holothurie.

   Les ignorants l'appellent le « concombre des mers ». L’holothurie grimpe ordinairement sur des pierres et des quartiers de roche. Comme le chat cet animal marin ronronne. De plus, il file une soie dégoûtante. L’action de la lumière semble l’incommoder. J’observai une holothurie dans la baie de Saint-Malo.

Porter notamment son attention sur la coda (l'appendice terminal), minute 1:50.

Notes pour l’interprète :
- Aller un peu.
- Sortie du matin.
- Il pleut.
- Le soleil est dans les nuages.
- Assez froid.
- Bien.
- Petit ronron.
- Quatre jolis rochers.
- Il fait bon vivre.
- Retenir.
- Très ralenti.
- Comme un rossignol qui aurait mal aux dents.
- Rentrée du soir.
- Il pleut.
- Le soleil n’est plus là.
- Assez froid.
- Pourvu qu’il ne revienne jamais.
- Petit ronron moqueur.
- C’est un bien joli rocher bien gluant.
- Ne me faites pas rire brins de mousse, vous me chatouillez.
- Heureusement que je ne fume pas.
- Grandiose.
- Coda : de votre mieux.

Introduction et notes pour l'interprète d'Eric Satie.

Étonnant, non ?


lundi 12 mars 2018

Le blob, l'ami du blog

   On entend dire beaucoup, partout, oui ! euh... Wroblewski, il fait rien qu'à toujours parler la politique ! Eh bien, pour contredire les mauvaises langues, voici un article purement scientifique.

Le blob !

   Un organisme unicellulaire dépourvu de bouche, d’estomac, d’oreilles, d’yeux, susceptible d’offrir 720 sexes différents, qui pourtant voit, sent, digère, s’accouple… Ni plante, ni animal, ni champignon, voici le blob ! Derrière ses allures d’ovni, cette espèce non identifiée promet des avancées scientifiques majeures. En 1973, au Texas, une femme trouve dans son jardin une énorme masse jaune de la texture d’une éponge. Appelés à la rescousse, les policiers lui tirent dessus, sans aucun effet, les pompiers tentent de le brûler mais, le lendemain, la créature a doublé de volume. Au-delà de l’anecdote, Physarum polycephalum (son nom scientifique) semble immortel. Coupé en morceaux, il cicatrise en deux minutes. Ses seuls ennemis sont la lumière et la sécheresse. Le blob n’a pas de neurones, mais se montre capable d’apprendre et de résoudre des problèmes complexes comme trouver la sortie d’un labyrinthe. Il apparaît même doté d’une personnalité. Dénué de membres, il se déplace. Sans cerveau ni estomac, il parvient pourtant à maintenir un apport optimal de nutriments essentiels à sa croissance. Le hasard a mis le blob sur le chemin d’Audrey Dussutour, spécialiste des fourmis. Depuis, la jeune chercheuse toulousaine s’y consacre entièrement. Le blob révèle d’étonnantes capacités. Chacune d’elles ouvre une fenêtre sur notre propre espèce : mystère de nos origines, solutions pour prolonger notre longévité, améliorer notre nutrition. Le blob promet aussi un traitement plus efficace du cancer, une nouvelle méthode d’apprentissage… Il est temps de voir la vie et la science sous l’angle du blob !
(Audrey Dussutour.- Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le Blob sans jamais oser le demander.- Equateurs, 2017).

 Une bien sympathique petite bestiole.


   Mais, en y repensant, le blob est-il si apolitique que cela, est n'est-il pas sans nous interpeler, dans les profondeurs, sur les tenants et les aboutissants de la révolution sur le point d'advenir ? La forme de vie résistante : "blob", ne fait-elle pas écho à cette guerre civile entre la vie libre, commune et passionnelle et l'Empire autoritaire-marchand, hostile, et compulsif, déjà là quoiqu'on en die ? A vous de prolonger par vos réflexions ces quelques pistes allant dans le sens de l'histoire.

vendredi 9 mars 2018

On y croit !

    Je souris en moi-même. Une telle obsession de lire et de me former, pourquoi ? J'aurai beau lire, jamais je ne serai capable de posséder des connaissances économiques et sociologiques qui me permettent d'analyser sans l'aide de techniciens une situation, un pays ou un moment historique. C'est bien joli de dire, comme le font les intellectuels ouvriéristes, que "les ouvriers savent ce qu'ils veulent", que "leur université est l'usine, et leur savoir l'expérience de l'exploitation", etc. La vérité est que notre ignorance est grande et qu'on peut facilement nous tromper ; que notre dénuement extrême nous pousse à faire confiance à celui qui se déclare notre ami ; que nous attendons beaucoup d'une aide extérieure à la classe. Toute notre vie à exécuter des ordres, à faire un travail où le moindre geste est déjà prévu... notre sens de l'initiative est émoussé ; notre capacité d'organisation ne dépasse pas le cadre familial, à condition que la femme tienne les comptes et s'occupe des enfants. Cela nous coûte de déchiffrer un texte, rédiger un tract est un travail ardu, exprimer notre pensée un martyre. Penser, même, nous est difficile, les idées nous échappent comme des poissons glissants qui ne se laissent pas prendre. Il est certain que nous avons toujours été culturellement aliénés et nous avons cependant été capables de faire des révolutions triomphantes. Mais la capacité de mystification qu'a aujourd'hui la société capitaliste est beaucoup plus grande que par le passé. Nous sommes à l'ère technique, et, comme le dit Debray, la révolution révolutionne plus rapidement les bourgeois que les révolutionnaires. L'armée comporte actuellement des groupes spécialisés dans la lutte antiguérilla, alors qu'il n'existe pas un seul guérillero. La police utilise l'électronique pour contrôler les téléphones, les conversations et les personnes. L’État utilise les techniques modernes de propagande pour dissuader, convaincre, endormir. Le capitalisme s'organise au niveau international.


   Et nous, pendant ce temps, nous continuons à nous donner rendez-vous à 6 heures au bistrot du coin, en arrivant en retard, avec le paquet de propagande sous le bras, parfois imprimée avec un rouleau de photographe, comme Lucha Obrera. Dès que nous sommes six dans un même groupe, nous sommes prêts à organiser une fraction. Sur le plan de l'organisation et de l'idéologie, on n'a pas avancé depuis 1936 ; au contraire, il ne reste que les critères d'organisation et d'idéologie les moins révolutionnaires. C'est peut-être pour cela qu'ils subsistent.

   Malgré notre indigence individuelle et de classe, nous sommes convaincus que la victoire sera à nous, les militants, parce que nous luttons dans le sens de l'histoire, et l'histoire conduit nécessairement vers le socialisme. Si nous la poussons, elle ira plus vite ; sinon, elle ira plus lentement ; mais de toute façon, personne ne peut arrêter la marche de l'histoire. Ceux qui n'avaient pas cette foi abandonnaient rapidement, car les difficultés semblent insurmontables. Pour être authentique, pour ne pas être une foi aveugle, elle doit se nourrir aux sources de l'analyse marxiste du développement historique, à la lumière des rapports de production qui se succèdent au long des siècles. Ce qui est mauvais, c'est que le schéma du "sens de l'histoire", avec celui de la "classe ouvrière, seule classe révolutionnaire", se transforme en phrases stéréotypées, acceptées comme elles viennent, comme auparavant on acceptait "Dieu unique en trois personnes" ou la "présence réelle sous les espèces du pain et du vin". Combien de militants aujourd'hui sont capables d'expliquer leur foi à la lumière de l'évolution de la société capitaliste et des classes qui la composent ?


   Le militant, qui est plus activiste que révolutionnaire, s'écroule quand l'action vient à lui manquer. C'est pourquoi on insistera jamais assez sur la formation pour nourrir ce "nous luttons dans le sens de l'histoire". Seule cette foi, réfléchie et assimilée, gardera vivante la petite flamme révolutionnaire dans les moments de découragement, lorsque tous les horizons semblent bouchés.

   Je me réconciliai avec la théorie et la nécessité de la formation.


Extrait de Barcelone : l'espoir clandestin, de Julio Sanz Oller, en promo chez CQFD, courez-y vite si vous voulez vous former !

jeudi 8 mars 2018

Réserves de printemps

Deux cents alcooliques sont en quelques heures devenus abstinents ; suppose-t-on qu’un seul alcoolique, en deux cents jours, en serait venu à bout ?
D'après Pierre-Joseph Proudhon.
Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous !
Charlot Baubau.

   Le 25 février dernier, j'ai eu 20 ans, un jour à la fois. Putain, 20 ans ! ça passe chié vite ! mais ça vaut le coup, merci les ami(e)s !

Il y en a un pour les ivrognes, garanti.

vendredi 2 mars 2018

La fabrique du Catholique

   La manifestation des cent vingt prêtres, le 11 mai 1966, marqua le point culminant du cléricalisme de gauche.


   Son objectif était de protester contre les tortures faites dans un commissariat à un étudiant membre du P.C. Ils voulaient ainsi donner un sens universel aux protestations que certains secteurs de l’Église, religieux et laïques, n'élevaient que lorsque la victime était un militant catholique.
[...]
    A onze heures et demie je commençai à tourner sur la place de la cathédrale avec mon vélomoteur. Les ensoutanés arrivaient isolément pour se rassembler dans le cloître de la cathédrale. Mais toute discrétion était inutile, car je pus me rendre compte que le secret était devenu secret de polichinelle. Je comptai au moins huit "Sociales"* fouinant aux alentours, avec leur touche incomparable.
   Les prêtres passèrent du cloître à l'intérieur de l'église, où ils demeurèrent quelques minutes.
   Il était 13 heures 5 quand le spectacle commença. Un long cortège de soutanes, en rangs par trois, commença à sortir par la porte de la cathédrale. Traversant la large place il se dirigea vers la rue Joaquin Pou, qui aboutit à la porte même du commissariat. Il était impressionnant de voir cette longue file de soutanes, surtout quand on connaissait le sens de la manifestation. Ils avaient peur, c'était évident pour plusieurs, mais ils étaient dignes et décidés.
    Quelques inspecteurs en civil s'approchèrent de ceux qui marchaient en tête, essayant de les dissuader, allant même jusqu'à leur saisir le bras pour les sortir des rangs. Mais ils ne cédèrent pas et le cortège continua d'avancer jusqu'à son but. Moi, je suivais cette marche, qui présageait un drame, le cœur serré. Quand la tête du cortège disparut dans la rue Joaquin Pou, je fis le tour par la Via Layetana et me plaçai au coin de cette dernière et de la place Maestro Luis Millet, simulant une panne à mon vélomoteur. Accroupi, une clé anglaise à la main, je ne perdis aucun détail des évènements.
    Quand la tête de la manifestation fut arrivée devant la porte du commissariat, on attendit un peu que tous soient là. Un prêtre se détacha alors avec un papier : le texte de protestation. Comme on lui interdisait l'entrée, il voulut le remettre au planton, qui refusa de prendre cette responsabilité. Après plusieurs refus, le papier resta finalement abandonné sur une des voitures officielles stationnées là, où un policier le ramassa un moment après.
   Et là commença l'incroyable. Les inspecteurs qui flanquaient la manifestation, aidés par d'autres qui sortirent de l'intérieur du commissariat, commencèrent à invectiver grossièrement les curés, les frappant à coups de poing, à coups de pied, essayant de les disperser. Des éléments de la Police armée furent obligés de participer au travail, ce qu'ils firent avec beaucoup moins de conviction. Plus tard on apprit que huit d'entre eux avaient été mis aux arrêts pour avoir refusé de participer à la bastonnade.
   Les prêtres, sous la pluie de coups, ne se mirent pas à courir, ni ne se dispersèrent, comme l'espérait leurs bourreaux. Ils se dirigèrent vers la place Urquinaona. Le plus gros de la troupe prit par la Alta de San Pedro, jusqu'à l'église de San Francisco de Paula, qu'il trouva fermée ; il se joignit alors au groupe qui montait par Junqueras. Plus pâles que la cire, sans desserrer les lèvres, ils supportaient stoïquement les insultes et les coups. Je m'imaginais qu'ils devaient éprouver les mêmes sentiments que les martyrs en présence des bêtes dans les cirques romains. Le public, surpris devant un spectacle tellement insolite, restait muet, témoin impassible et impuissant de cette raclée sacrilège.


   Une gifle claqua près de moi. Je me retournai et reconnus un jésuite déjà âgé, auteur de plusieurs livres, qui se baissait pour ramasser ses lunettes que la gifle magistrale avait fait sauter. Dans cette position ils lui administrèrent un coup de pied dans le derrière qui lui fit embrasser le trottoir, pendant que le même pied écrasait les lunettes. J'en vis un autre qui recevait un coup de pied dans le bas-ventre. Avec acharnement ils les poursuivirent pendant plus de cent interminables mètres, comme un essaim de guêpes qui n'abandonnent pas leur proie. En arrivant place Urquinaona, ils se dispersèrent.
   Des énergumènes acharnés continuèrent encore la chasse, si bien qu'un capucin qui allait se réfugier dans le collège des Jésuites de la rue Capse, distant de quelque trois cents mètres du commissariat, reçut un coup de matraque sauvage sur la tête, qui le renversa ensanglanté.


    La seconde partie du drame fut une saynète grotesque. Les moyens de la propagande gouvernementale entrèrent en action. La télé exhuma les inévitables photos d'églises brûlées par les "hordes rouges", de prêtres assassinés par la "populace marxiste", de miliciens tirant des coups de fusils sur la statue du Sacré-Coeur, etc.** Les journalistes firent aussi de leur mieux. La version officielle, ce fut les journaux de Mouvement*** - Solidaridad Nacional, Arriba, La Prensa - qui la fournirent. Ils parlaient de "l'attitude tumultueuse, rebelle et provocatrice" des manifestants, dont le point culminant avait été l'"agression par un jeune prêtre d'un agent de l'autorité", si bien que celle-ci s'était vue obligée de dissoudre le cortège qui paralysait la circulation. Pueblo, sous le titre "Les nouveaux curés", assurait que le "spectacle de Barcelone est tellement grotesque qu'il n'en est pas édifiant". Informaciones intitulait l'article "Étonnement et peine". Mais celui qui enleva la palme fut Tele-Exprès qui qualifiait la manifestation de "procession politique" et les manifestants de "bonzes enquiquineurs" qui feraient mieux "d'aller répandre la bonne graine en Amazonie ou aux Andes".
   Peu après vinrent les condamnations de la manifestation. C'est le chapitre de la cathédrale de Grenade qui ouvrit le feu, suivi par les prêtres de Ciudad Real, les chefs de familles d'Elche et autres forces vives du même calibre, avec enfin l’épiscopat espagnol.
   Plus tard furent jugés ceux que la police considérait comme principaux meneurs. Ils furent condamnés à un an de prison qu'ils n'eurent pas à purger.

*Police politique. 
**Photos tirées des archives de la guerre civile. 
***Parti unique du régime franquiste.

Extrait de Barcelone : l'espoir clandestin, de Julio Sanz Oller, en promo chez CQFD, courez-y vite si vous voulez continuer de bicher !